Gensin, peintre martiniquais, précurseur en Côte d’Ivoire
Gensin, un peintre de l’Âme noire
Le peintre Mathieu-Jean Gensin nous ouvre la porte de son appartement situé au Plateau, quartier des affaires à Abidjan. Avec bienveillance, d’emblée son sourire affiché est communicatif… et lance une conversation tambours battants.
Incroyable… Nous sommes au cœur de la Martinique tout en étant à Abidjan ! En effet, Mathieu-Jean est originaire du Lamentin, ville où je réside…
Du haut de ses 87 ans, cet ivoirien d’adoption n’a cessé de partager sa passion, les arts plastiques, auprès de ses nombreux élèves aussi talentueux que célèbres.
Comme James Houra, docteur en histoire de l’art et peintre renommé pour son style « figuratif informel ».
Formé à l’Ecole des Arts Appliqués de Fort-de-France, Mathieu-Jean est diplômé des Arts Décoratifs de Nice et des Beaux-arts de Paris.
C’est l’année de l’indépendance de la Côte d’Ivoire (1960), qu’il regagne cette terre…
Pour y rester définitivement.
La portée de l’école negro-caraïbe
Ce mouvement, né en 70, a pour objectif d’instaurer un nouvel état d’esprit concernant les arts plastiques, peu reconnu dans le monde ultra-marin ; l’évolution du regard est alors suscitée pour sauvegarder l’identité propre du monde culturel des Antilles. Résultante de traditions syncrétiques… c’est à dire de différents traits culturels.
Un élan pour garder sa propre expression tout en étant au carrefour d’influences. L’esprit de la Caraïbe, de l’Europe, surligné par la terre inspiratrice ivoirienne fera ainsi émerger des tableaux animés, lumineux et expressifs.
C’est aussi une tendance portée par Serge Hélénon et Louis Laouchez. Mathieu-Jean Gensin, avec ses deux amis, mettront alors en avant cette plasticité originale et singulière qui réclame plus de visibilité et de légitimité.
Ainsi ce courant créé par le trio d’artistes antillais requiert entre autres une « présence nouvelle exprimée comme négro-caraïbe au sein des rendez-vous internationaux ».
Ce courant a inspiré par la suite le mouvement Vohou-vohou, qui prendra naissance en 1985, suite aux nombreuses recherches réalisées sur le patrimoine africain par les enseignants martiniquais.
Le Vohou-vohou, l’art de la récupération
Il s’agit d’assembler, de coller, de tapisser des objets usuels, trouvés de part et d’autre pour magnifier et promouvoir une esthétique négro-africaine.
Loin du matériel onéreux importé de France, l’art se décline sur des supports d’écorce de bois et de toiles de jute, alors que les couleurs naissent de décoctions naturelles.
Utiliser les moyens du bord et créer avec « tout ce que l’on a sous la main » … me confiera Mathieu-Jean.
Au fil du temps, ce mouvement s’atténuera sans jamais disparaitre…
La preuve en est avec la rencontre d’Aristide Kouamé, jeune artiste de 26 ans, qui s’en inspire pour la confection de ses tableaux.
Œuvres de Gensin, une force inscrite
Mathieu – Jean Gensin œuvre ainsi toute sa vie pour un courant artistique ivoirien, et bien au-delà des frontières, s’inspirant des traditions et du vécu temporel des populations autochtones.
« Vous avez tout ce que vous cherchez autour de vous » répétait sans cesse le professeur à ses élèves, lui-même à la quête de ses origines. Nouvelle voie vers le « primitivisme » de l’art négro-africain, ces peintures interrogent sur les signes, les symboles… Un héritage exposé au regard quotidien.
Le masque est alors souvent un sujet peint, lui qui intercéde auprès des ancêtres, pont entre le monde visible et invisible. Ses toiles questionnent sur l’origine de la vie et sur la force cachée des « esprits créateurs » comme le pointe Mr Gensin.
Les niches sacrées, le génie de la forêt, noblesse oblige… sont autant de titres qui soulignent la place du monde enchanté et des énergies fondamentales de la vie.
Saisir une force pour la lutte des réalités à travers des couleurs, un mode expressif, un travail sans cesse innovateur… là est toute la richesse d’un regard brillant qui anime encore aujourd’hui 87 printemps !
Fiche pratique de Mathieu-Jean Gensin
- 1er prix du Grand Prix de France pour les Arts Plastiques de Fort-de-France
- Grand Prix du Président de la République de Côte d’Ivoire – 150e anniversaire de l’Abolition de l’Esclavage – 1998
- Officier de l’ordre national ivoirien – 2012
- 22 expositions collectives – 1952 à 2020, d’Abidjan à Fort-de-France, Dakar, Nice, Belgique, Brésil
- 8 expositions personnelles – 1984 à 2010
- Expositions de ses œuvres à la Galerie d’Art Eurêka – Rue Marconi – Abidjan