Benjamin, dernier tailleur d’essentes en Guadeloupe

Benjamin, tailleur d’essentes

Maison en essentes

Generation de bucheronsBenjamin Kamoise, tailleur d’essentes, est un passionné qui n’a jamais lâché ses outils pour le métier qu’il affectionne.

C’est une histoire familiale bien sûr, issue d’une génération de bûcherons.

Tradition ancestrale depuis le 17ème siècle, pendant des générations, la plupart des murs se sont érigés selon cette technique, surtout sur les plantations. La paille étaient pour les plus pauvres.

Les essentes, planchettes de bois, recouvraient en majorité les habitations en Guadeloupe, raconte Benjamin, puis la modernisation de l’habitat a éteint la profession, ne permettant plus les appointements nécessaires. Les essentes étaient alors utilisées pour les façades mais aussi les toitures de maison. Elles les protégeaient des intempéries (soleil et pluie).

Benjamin KamoiseCe métier était une tâche saisonnière entre août et janvier. Le reste du temps était alors centré sur l’agriculture et les récoltes des terres.

D’après l’artisan, ce savoir-faire disparait car les consommateurs valorisent la quantité à la qualité et trouvent des planches plus larges, plus épaisses au détriment de la longévité de l’ouvrage. Aujourd’hui sur l’île, des essentes coupées de manière industrielle sont importées du Brésil.

Egalement le béton et la tôle ont remplacé cette façon de construire, choix accéléré après le cyclone Hugo en 1989.

Maison - tailleur d'essentes

L’histoire commence en forêt…

La période des essentes dépendait de la « saison » de la sève et des lunes. Sans la sève le bois est de meilleure qualité. L’abatage des arbres se faisait généralement 3 jours après le quartier de lune car les fibres de l’arbre se « tiennent bien debout ».

Le repérage des essences se fait sur les hauteurs d’Acomat, dans la commune de Pointe Noire, capitale du bois ; Benjamin prédilectionne le poirier gris, l’acajou rouge, le tamarin montagne… espèces résistantes et tendres à la fois.

Noeud et planche« Je dois éviter la présence de noeuds (branches) et choisir un bois qui ne se tord pas en séchant » ; après l’abatage, la 1ère découpe a lieu sur place en tronçons de 45 cm de longueur. Puis la découpe s’effectue autour du noyau et sera transportée jusqu’à la case.

Travail en solitaire le plus souvent, Benjamin reste une journée entière dans un environnement naturel qu’il connait parfaitement. Et rien au monde ne pourrait plus le combler !

Savoir-faire ancestral

Outil - tailleur d'essentes

Jusqu’à ses 74 ans, Benjamin n’a cessé de manier avec adresse les planes (outils pour tailler) venant de son grand-père maternel.

Une lame d’acier parfaitement aiguisée, avec un manche à chaque extrémité, affine la taille. Inlassablement, elle va et vient sur les extrémités de l’essente laissant des copeaux au sol.

Adresse acquise par une longue expérience car cela a commencé par une entaille de genou ! D’ailleurs les plus jeunes débutent avec un tablier en cuir pour les empêcher de s’éventrer !

Cheval - tailleur d'essentesEn effet le geste du bras s’arrête juste devant l’estomac et de nombreux accidents ont eu lieu. Me rappelant qu’à 17 ans, il était fendeur puis à 23 ans, après la permission de son père, il a pu fabriquer des essentes.

Les gestes paternels avaient tellement été observés, qu’il savait depuis longtemps ce qu’il voulait faire… Tailleur d’essentes et rien d’autre !

D’ailleurs une émulation sereine existant entre les deux hommes, Benjamin pouvait tailler 700 essentes par jour à l’époque dans l’optique de dépasser son modèle paternel qui lui en préparait 1000 !

L’art de la précision

Planchette

Le maillet dans la main entaille la bûche par la lame du coutelas pour une planchette à affiner. Moins d’1 cm d’épaisseur et 10 de large définissent la pièce de bois.

Planche d'essentesPuis l’affûtage se précise à l’aide d’un « cheval », qui immobilise la planche dans un étau alors que l’artisan, assis, jambes tendues, joue avec dextérité pour obtenir une forme parfaite et lisse respectant le sens du bois.

Des gestes précis, répétitifs qui permettent aux planches de s’emboiter les unes aux autres. « Elles sont parfaitement imperméables une fois bien posées, c’est-à-dire en se chevauchant avant d’être clouées ».

Pour couvrir le toit d’un carbet, il faut au minimum 550 essentes ; c’est déjà un travail colossal ! Avec une fierté bien légitime, Benjamin précise « Je réalise à moi seul toute la chaîne de fabrication, de l’abattage de l’arbre à la finition de l’essente ».

Une relève possible ?

 Le métier de tailleur d’essentes figure parmi ces professions oubliées qui, il y a peu, permettait à un artisan de vivre. Hier oubliée, aujourd’hui valorisée, la profession espère se relever ; surtout qu’une prise de conscience de l’impact du mode de vie sur l’environnement est réelle. Ce qui a pour effet de relancer les constructions écologiques avec un nouvel élan.

A la retraite, ce passionné a choisi de former bénévolement ses successeurs pour pérenniser son art.« J’organise des interventions dans les établissements scolaires et je reçois de nombreux adolescents à la Maison du bois… mais peu de jeunes sont intéressés ».

Annie-Claire - tailleur d'essentes

Un espoir qu’il chérit, car à l’heure actuelle il est le seul gardien de cette tradition ancestrale. Et l’idée de la transmission ne le quitte pas… « Si ce métier disparaît, c’est un pan de notre tradition qui s’éteindra à jamais. »


Interview de Benjamin Kamoise, par Maëlle de familyevasion.

Pour aller plus loin

Toit d'essentes

 

Bardeau, tavaillon (massif jurassien et Savoie), tavillon pour la Suisse romande, ancelle, ou encore essente !

En fonction des régions et des pays, les tuiles de bois changent de nom et d’essence. Et une longévité assurée selon le chêne (100 ans), le mélèze (80 ans), le pin (40 ans)….

Elles seront fixées par des clous (ou chevilles de bois pour la Norvège) ou simplement posées comme en Franche-Comté (mais alors lestées par des pierres ou rondins).